Le Monde.fr | 12.11.2014 à 04h29 • Mis à jour le 12.11.2014 à 09h50
Depuis le 26
septembre, les manifestations se multiplient dans l'Etat du Guerrero, dans le
sud-ouest du Mexique,
pour réclamer que
la lumière soit faite sur la disparition de 43 étudiants, vraisemblablement
enlevés et tués par des narcotrafiquants avec la complicité de policiers et
d'élus locaux.
En début de
semaine, les rassemblements ont dégénéré, révélant
l'exaspération des populations qui font face aux accointances du pouvoir avec
les cartels de la drogue.
Qui
sont les étudiants disparus ?
Agés de 18 et
21 ans, les 43 garçons étaient tous scolarisés en première ou seconde année à
l'école normale rurale d'Ayotzinapa, dans l'Etat du Guerrero dans le sud-ouest
du Mexique. La commune dont ils sont originaires est connue pour être un
bastion de la contestation sociale dans l'un des Etats les plus pauvres du
Mexique et au taux d'homicides le plus élevé du pays.
Que
s'est-il passé le jour de leur disparition ?
Le 26
septembre, les 43 étudiants se rendent à Iguala, à près
de 250 kilomètres au nord-ouest d'Ayotzinapa, afin d'y lever des
fonds pour financer un voyage à Mexico. Les jeunes gens comptent particper
le 2 octobre à la traditionnelle marche de commémoration du massacre
de Tlatelolco en 1968, au cours duquel les forces de l'ordre ont tué
300 étudiants.
Selon la version
officielle, les policiers municipaux attaquent les 43 garçons parce qu'ils se
seraient emparés d'autobus appartenant à la municipalité pour rentrerdans
leur école après leur collecte. Des témoins aperçoivent, aux côtés des
policiers, des hommes armés,
soupçonnés d'être des
narcotrafiquants. La
fusillade qui éclate, fait six morts et 25 blessés. Les survivants sont emmenés
dans des voitures de police. Depuis, leurs familles sont sans nouvelles d'eux.
Quel
sort leur a été réservé ?
Selon les
éléments déjà établis par l'enquête,
les étudiants auraient été livrés par les policiers à un groupe local de
narcotraficants, les Guerreros Unidos, entre les villes d'Iguala et de Cocula.
Ces trafiquants sont notamment connus pour être le
principal fournisseur d'opium et de marijuana de la ville de Chicago, aux
Etats-Unis.
Plusieurs
membres du cartel ont, depuis, affirmé les avoir tués.
Samedi 8 novembre, trois des suspects ont expliqué qu'au moins 40 étudiants avaient été assassinés et leurs
restes brûlés sur un gigantesque bûcher pendant
quatrorze heures. Leurs restes auraient été dispersés dans une rivière
avoisinante.
Leurs
confessions ont permis la découverte de restes humains, des cendres, des dents
et des os calcinés, qui pourraient être ceux
des disparus. Le ministre de lajustice mexicain
a estimé qu'il serait très difficile d'identifier s'il s'agissait de ceux des étudiants. Les experts ont fait savoir qu'il
y avait « seulement deux fragments d'os, dont une rotule », qui
pouvaient « être soumis
à des tests ADN et seraient envoyés dans un laboratoire autrichien »,
a-t-il déclaré à la chaîne de télévision Televisa.
Le scénario
du massacre a toutefois été contesté par les parents des jeunes, qui ont
considéré que ces aveux n'avaient pas valeur de preuves. « Tant qu'il
n'y a pas de preuves, nos enfants sont vivants », avait alors déclaré
Felipe de la Cruz.
Qui a
commandité l'attaque ?
Le 4
novembre, les autorités mexicaines ont procédé à une arrestation d'envergure : ils ont
retrouvé le maire d'Iguala, José Luis Abarca, et son épouse, Maria de los
Angeles Pineda Villa, qui avait fui deux jours après l'enlèvement des
étudiants.
Plusieurs
éléments portent à croire qu'ils
sont à l'origine de l'attaque. Selon l'enquête, le maire aurait craint que les
étudiants, qui avaient déjà participé à des protestations violentes contre lui
en mai et juin 2013, ne sabotent un événement public d'une
institution de protection de l'enfance, dont son épouse avait la charge.
Maria de los
Angeles Pineda Villa est connue pour être la
sœur de narcotrafiquants notoires et diriger les
activités des Guerreros Unidos à Iguala. Selon le correspondant du Monde au
Mexique, le couple faisait régner la terreur dans la
ville. L'enquête a révélé que M. Abarca versait plus
de 150 000 euros mensuels aux Guerreros Unidos, dont une partie
revenait aux tueurs du cartel, reconvertis en policiers municipaux, pour réprimer ses opposants.
Le chef des
Guerreros Unidos, Sidonio Casarrubias, a cependant livré, lui, une explication
différente, affirmant, après sa récente arrestation, que son
lieutenant sur place avait compris que le groupe de jeunes appartenait à un
groupe criminel rival. Il a donc « donné son aval » aux
actions armées pour la « défense de
son territoire ».
Pourquoi
les manifestations se poursuivent ?
Dès les
premiers jours après la disparition des étudiants, de nombreuses manifestations
ont été organisées dans l'ouest du Mexique pour protester,
notamment, contre le manque d'efficacité des pouvoirs publics dans la recherche
des étudiants. Plusieurs rassemblements ont dégénéré, conduisant notamment à
des pillages.
Depuis les
aveux des narcotrafiquants, confirmant le scénario d'un massacre des étudiants,
ces contestations sont devenues de plus en plus violentes. Mardi 11 novembre,
les manifestants ont incendié le siège du parti du président mexicain,
Enrique Peña Nieto, à Chilpancingo, capitale de l'Etat de Guerrero.
Plus largement, c'est la colère de tout une population qui s'exprime à l'égard de ce qu'elle
appelle un « narcogouvernement », dans une région où les
enlèvements et les massacres se multiplient. Cette
année, pas moins de quatre-vingts corps ont été exhumés de fosses clandestines
dans les hauteurs d'Iguala.
« C'est
l'affaire de trop », explique Abel Barrera,
directeur du Centre des
droits de l'homme de la montagne de Talchinollan dans l'Etat de Guerrero :
« D'autant que la complicité entre les autorités locales et la
délinquance organisée est loin d'être une
exception dans notre pays. La loi du silence est en train d'être rompue
pour réclamerque
justice soit faite. »
Human Rights
Watch a comptabilisé 149 cas de « disparitions forcées » au
Mexique au cours des six dernières années et dans lequels sont impliqués l'armée, la marine, la police fédérale ou les
polices des Etats ou des municipalités.
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